Entretien exclusif du Pr. Michel MBOUSSOU, Directeur Général de la CNAMGS,

...Pr. Michel MBOUSSOU : »Dans un système déclaratif sans enquête sociale, il est possible que les personnes de mauvaise foi viennent se faire immatriculer »

Article paru dans le quotidien L’UNION du Mardi 29 Mars 2016, Propos recueilli par Maxime Serge MIHINDOU. Libreville / Gabon.

 

L’UNION. Le nombre de Gabonais économiquement faibles devrait passer de 550 000 en 2015 à 800 000 en 2016. Comment expliquez-vous une telle augmentation en une année ?

Pr. Michel MBOUSSOU : Pour répondre à votre question, il convient de préciser que le Fonds des Gabonais Economiquement Faibles (GEF), en plus des GEF  et leurs ayants droit comprend : les religieux, les étudiants, les élèves non ayants droit des autres catégories sociales, ainsi que leurs ayants droit.

Pour en venir à votre question, nous rappellerons que pour organiser la cérémonie solennelle de remise des premières cartes d’assurance maladie aux bénéficiaires présidée par le défunt Président Omar BONGO ONDIMBA en décembre 2008 et démarrer les activités opérationnelles de la CNAMGS par la prise en charge des GEF en janvier 2009,  il a fallu d’abord constituer un  fichier. Aussi, une première campagne d’immatriculation des GEF a été organisée dans les neuf provinces que compte notre pays.

 

Et quel était le mode d’identification ?

Cet enrôlement était déclaratif, en ce sens que les postulants se présentaient avec les pièces d’état civil dans les centres dédiés, sans qu’aucune enquête sociale n’ait été préalablement effectuée, comme l’exige la loi, à cause des délais très courts qui nous étaient impartis.  Cette phase pilote d’immatriculation a été suivie, en 2010, par une campagne d’immatriculation de masse, en plus des immatriculations spontanées des compatriotes intéressés.

A ce sujet, il faut rappeler que sur le plan juridique, le statut d’économiquement faible est personnel. Ainsi, le rattachement des ayants droit à l’assuré principal obéit à une logique de gestion, puisque chaque assuré de la CNAMGS est géré dans le cadre d’un Fonds déterminé.

Au regard de ce qui précède, le nombre de GEF que vous donnez est un chiffre global qui ne fait pas la distinction entre  les assurés principaux, les conjoints, les enfants à charge, les ministres du culte,  les étudiant et les élèves.

Quels sont alors les vrais chiffres ?

Au 31 décembre 2015, le Fonds des GEF comprenait 258 629 GEF assurés principaux, 27 588 étudiants assurés principaux,  7 088 Elèves non ayants droit assurés principaux et 55 religieux assurés principaux, auxquels s’ajoutent les 223 310 ayants droit de toutes ces catégories sociales. Ce qui fait un effectif total de 516 666 personnes immatriculées au Fonds des GEF. Je voudrais rappeler que la loi nous fait obligation de gérer les étudiants, les élèves, les enfants à charge des GEF…. dans le cadre de ce Fonds, sans que ces personnes ne soient considérées comme économiquement faibles.

Les résultats de la dernière campagne d’immatriculation des GEF, à savoir, 183 157 assurés principaux et 53 768 ayants droit, soit 236 925 personnes, ne seront introduits dans la base des données que lorsque nous aurons réalisé les enquêtes sociales et expurger du fichier tous les compatriotes qui ont des revenus déclarés.

 

Lors de la rencontre du 15 mars dernier entre le gouvernement et le patronat, le vice-Premier ministre en charge de la Prévoyance sociale, Paul Biyoghé Mba, s’est lui-même interrogé sur l’explosion brutale des Gabonais économiquement faibles, évoquant même de possibles cas de fraudes avérées, comme des doublons ou des individus fictifs enregistrés, lors de vos investigations ?

Les fraudes et doublons dans le fichier des GEF ont été favorisés par deux facteurs. D’abord le système déclaratif d’enrôlement que les circonstances nous ont imposé au début des activités de la CNAMGS, et ensuite le fait que ces activités aient débuté par la prise en charge des GEF.

En effet, dans un système déclaratif sans enquête sociale, il est possible que des personnes de mauvaise foi viennent se faire immatriculer pour bénéficier des avantages de l’assurance maladie et des autres prestations sociales.  En outre, l’assurance maladie ayant débuté par la prise en charge des GEF, certaines personnes non éligibles se sont fait immatriculer, pensant que cette couverture sociale n’allait pas s’étendre à toutes les autres couches sociales.

C’est ainsi que nous avons procédé à un croisement de notre fichier avec ceux de la CNSS, la Solde et de l’ex- CDE.

Et qu’avez-vous découvert ?

Ce croisement des fichiers a donné les résultats suivants : 12 642 assurés principaux détectés en doublon et 14 959 enfants rattachés à la CNSS ; 129 assurés principaux détectés en doublon et  17 enfants rattachés à la Solde; 61 assurés principaux détectés en doublon et 52 enfants rattachés à l’ex CDE.

Mais c’est énorme ! Qu’avez-vous fait alors ?

Après avoir détecté ces irrégularités, nous avons retiré ces personnes du fichier des GEF et les économies réalisées par exemple, en matière de paiement des prestations familiales sont de 643 387 000 FCFA au 2ème semestre 2014.

Par contre, il ne peut y avoir d’immatriculation fictive pour la simple raison que les données biométriques sont nécessaires à l’enregistrement ; la machine ne pouvant accepter que les éléments concernant les êtres vivants et seuls les enfants âgés de moins de 6 ans sont exemptés de l’enrôlement biométrique.  En plus de cet enregistrement biométrique, les pièces d’état-civil du postulant sont préalablement scannées.

« Nous avons l’obligation de veiller à la qualité des soins de santé fournis à nos assurés »

Mais avez-vous quand même alerté le ministère de la Prévoyance sociale ? Quelles sont les mesures prises pour endiguer ce fléau naissant ?

Bien sûr que toutes ces irrégularités ont été portées à la connaissance du Gouvernement, à travers le Ministre de Tutelle et nous avons beaucoup communiqué sur le sujet par le canal des média.

Les principales mesures qui ont été prises pour endiguer le phénomène sont :

  • le croisement  des fichiers de manière régulière pour détecter les doublons, ainsi que l’alignement de l’assuré et ses ayants droit détectés dans le Fonds auquel ils appartiennent ;
  • l’information et la sensibilisation des populations sur les sanctions encourues en cas de fraude aux prestations sociales ;
  • la création d’un quatrième Fond pour les travailleurs indépendants et les petits opérateurs économiques du secteur informel qui devra être opérationnel dans les prochains mois.

Et quels ont été les premiers résultats ?

A titre d’illustration, le partenariat entre la CNAMGS et la Direction de la Solde  a permis le paiement des prestations familiales des agents de l’Etat sur la base du fichier CNAMGS qui est biométrique, alors qu’à la Direction de la Solde le système est déclaratif. Cette opération a permis de détecter plus de 90 000 enfants fictifs enregistrés dans le fichier de la Solde avec des faux actes de naissance. Par ce système, la CNAMGS  fait réaliser à l’Etat,  depuis février 2015, des économies de l’ordre de 700 millions de FCFA par mois.

 

 Quel est aujourd’hui le coût des prestations sociales au profit des GEF ? Son accroissement peut-il mettre en danger la pérennité de la CNAMGS ?

Il faut savoir que le Fonds des GEF est financé par la redevance obligatoire à l’assurance maladie assise sur le chiffre d’affaire des sociétés de téléphonie mobile, soit 10 % et les transferts de fonds à l’étranger, hors zone CEMAC, soit 1,5 % du montant à transférer.

L’analyse de la situation financière de ce Fonds révèle une stagnation des recettes contre une tendance haussière des dépenses.

Mais qu’est-ce qui est à l’origine de cette situation ?

Je peux dire, premièrement, que cette situation est causée par les arriérés de la redevance non reversés à la CNAMGS, pour un montant de 19 Milliards de FCFA pour le compte des années 2010 à 2014 ; des difficultés de règlement de certains opérateurs de téléphonie mobile et de la forte progression des dépenses de santé suscitée par l’engouement des populations, soit en moyenne 3,5 Milliards de FCFA par an.

A propos des coûts des prestations sociales des GEF, il faut distinguer les prestations de santé qui sont supportées par les taxes affectées et les prestations familiales qui sont financées quant à elles par une dotation budgétaire de l’Etat.

Concernant les prestations de santé, il convient de signaler que l’équilibre financier du Fonds des GEF, déjà fragile au cours des deux dernières années, est rompu en 2015. En effet, sur 15.5  Milliards de FCFA de recettes encaissées, les dépenses de santé ont été de 16.2 Milliards de FCFA, dont 14.9 Milliards FCFA pour les dépenses techniques locales et 1.3 Milliard de FCFA pour les évacuations sanitaires à l’étranger, soit un résultat négatif de – 0,7 Milliard de FCFA.  Comme vous voyez, sur ce Fonds, nous avons dépensé techniquement plus que nous n’avons reçu de ressources financières. C’est la raison pour laquelle ce Fonds ne participe plus au financement du fonctionnement et de l’investissement de la CNAMGS. Les projections de dépenses de santé du Fonds, fondées notamment sur l’augmentation du nombre des assurés et leurs ayants droit, en corrélation avec l’accumulation et les difficultés d’apurement des arriérés, ainsi que la stagnation des recettes, laissent entrevoir l’aggravation du déséquilibre financier de ce Fonds conduisant la CNAMGS à ne plus assumer convenablement ses missions.

La situation semble, à tout point de vue, très critique… Qu’allez-vous faire pour éviter le pire ?

Pour faire face à cette situation, nous attendons la mise en œuvre de l’engagement  récemment pris par le Gouvernement et le Patronat concernant l’extension de la Redevance Obligatoire  d’Assurance Maladie à tous.

Pour les prestations familiales, à savoir les allocations familiales de 5000 FCFA par mois et par enfant, la prime de rentrée scolaire de 5000FCFA par an et les layettes d’une valeur de 50 000 FCFA, le montant payé en 2015 est de 4 218 679 000 FCFA dans l’ensemble du pays, à l’exception de la province de l’Estuaire qui n’est pas encore payée.

Vous menez actuellement une opération coup de poing à l’endroit de certaines structures sanitaires privées ne répondant pas aux normes requises pour la prise en charge des assurés de l’Etat. A combien évaluez-vous les pertes liées à ces « fausses » prestations délivrées par ces établissements ?

Dans nos missions régaliennes, nous avons l’obligation de veiller à la qualité des soins de santé fournis à nos assurés. Dans cette optique, nous menons des opérations de contrôle des  structures sanitaires conventionnées. Force est de constater que certaines structures ne répondent pas aux normes.

Alors pourquoi avoir signé une convention avec des structures ne répondant pas aux normes ?

Avant de conventionner une structure, nos médecins contrôleurs font d’abord une visite d’inspection pour s’assurer de la conformité de la structure aux normes. Ces structures, qui sont souvent conventionnées pour certaines prestations, cherchent à étendre leurs compétences en ajoutant les services pour lesquels ils n’ont pas de personnels ou d’équipements appropriés.  C’est ce qui entraine souvent les suspensions temporaires, totales ou partielles de la convention. Il va sans dire que la levée de ces mesures de suspension est subordonnée par la correction des irrégularités constatées.

Quant à ce que vous appelez « fausses prestations », il faut dire que celles-ci sont découvertes lors du contrôle de la feuille de soins. En effet, avant le paiement de la facture des prestations, celle-ci est soumise au contrôle des médecins contrôleurs.  Mais, il va de soi que malgré nos contrôles, certaines fraudes réussissent à passer avec la complicité parfois des praticiens et des assurés. Par exemple, lorsqu’on donne des soins à un parent non assuré en utilisant une carte qui appartient à quelqu’un d’autre. A ce propos, le système français enregistre des pertes estimées entre 5 à 10 % des dépenses de santé.

Par: Administrateur CNAMGS Le 29 mars 2016

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